jeudi 16 février 2012

Des journées entières dans les livres #94

— Un bidon de pétrole allumé sous leur lit… Le v’là, mon cadeau…
C’était chouettement répondre. Du reste, ce Baptiste était un homme épatant dans la politique.
— Et le vôtre, Célestine ?… me demanda-t-il à son tour.
— Moi ?
Je crispai mes deux mains en forme de serres, et faisant le geste de griffer, férocement, un visage.
— Mes ongles… dans ses yeux ! répondis-je.
Le maître d’hôtel à qui on ne demandait rien et qui, de ses doigts méticuleux, arrangeait des fleurs et des fruits dans une coupe de cristal, dit sur un ton tranquille :
— Moi, je me contenterais de leur asperger la gueule, à l’église, avec un flacon de bon vitriol…
Et il piqua une rose entre deux poires. 

Ah oui ! les aimer !… Ce qui est extraordinaire, c’est que ces vengeances-là n’arrivent pas plus souvent. Quand je pense qu’une cuisinière, par exemple, tient, chaque jour, dans ses mains, la vie de ses maîtres… une pincée d’arsenic à la place de sel… un petit filet de strychnine au lieu de vinaigre… et ça y est !… Eh bien, non… Faut-il que nous ayons tout de même, la servitude dans le sang !…
Je n’ai pas d’instruction et j’écris ce que je pense et ce que j’ai vu… Eh bien, je dis que tout cela n’est pas beau… Je dis que, du moment où quelqu’un installe, sous son toit, fût-ce le dernier des pauvres diables, fût-ce la dernière des filles, je dis qu’il leur doit de la protection, qu’il leur doit du bonheur… Je dis aussi que si le maître ne nous le donne pas, nous avons le droit de le prendre, à même son coffre, à même son sang.



[Octave Mirbeau, né et mort un 16 février : pour lire le Journal d'une femme de chambre, c'est ici clic-clic. Sinon, l'année dernière clic-clac, B.B. King (Lucille !) et ADG.]

1 commentaire: