mardi 11 novembre 2014

Dans les livres #180

Nous n’avons jamais vraiment écouté ces vieillards de 20 ans dont le témoignage nous aiderait à remonter les chemins de l’horreur : l’intolérable brûlure aux yeux, au nez, à la gorge, de suffocantes douleurs dans la poitrine, une toux violente qui déchire la plèvre et les bronches, amène une bave de sang aux lèvres, le corps plié en deux secoué d’âcres vomissements, écroulés, recroquevillés que la mort ramassera bientôt, piétinés par les plus vaillants qui tentent, mains au rebord de la tranchée, de se hisser au-dehors, de s’extraire de ce grouillement de vers humains, mais les pieds s’emmêlent dans les fils téléphoniques agrafés le long de la paroi, et l’éboulement qui s’ensuit provoque la réapparition, par morceaux, des cadavres de l’automne sommairement enterrés dans le parapet, et à peine en surface, c’est la pénible course à travers la brume verte et l’infect marigot, une jambe soudain aspirée dans une chape de glaise molle, et l’effort pour l’en retirer sollicite violemment les poumons, les chutes dans les flaques nauséabondes, pieds et mains gainés d’une boue glacière, le corps toujours secoué de râles brûlants, et, quand enfin la nappe est dépassée - Ô fraîche transparence de l’air -, les vieilles recettes de la guerre,  par un bombardement intensif, fauchent les rescapés. 

[Le 11 novembre clic-clic : les morts déjà, Martin Scorsese et Miossec - la lueur des sémaphores.]

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