dimanche 10 janvier 2010

D'où vient qu'il boit beaucoup d'alcool

"Le négatif s'est avancé sans le masque ni les bonnes manières des gentlemen-cambrioleurs : la révolution a flambé partout. Elle a été vaincue partout. [...] Mais entre-temps, dans les années vingt, quand l'ordre est rétabli, quand toute la civilisation a raffermi son pouvoir et s'affiche impunément comme crime organisé qui contient tous les crimes organisés, alors le réalisme critique du roman noir américain apparait et manifeste l'amertume et la colère froide des vaincus. Dans la revue Blue Mask, dans Hammet, dans Burnett, dans McCoy, James Cain, bientôt Chandler, la conscience révoltée décrit un monde où l'ordre qui régne est haïssable. Cependant cet ordre s'est imposé. Devant lui la conscience se retire dans un calme glacial. Le gangster et le détective privé, ces archétypes du roman hard-boiled, sont les figures du négatif d'alors. Celui-là accède à l'argent et au pouvoir parce qu'il consent au jeu social. L'autre se détourne de l'argent et du pouvoir, afin d'avoir comme on dit sa conscience pour lui ; mais ses victoires particulières ne redressent pas le tort général et il vit dans la frustration, d'où vient qu'il boit beaucoup d'alcool."
Jean-Patrick Manchette

Dashiell Hammett a beaucoup bu, tellement qu'il en est sans doute mort le 10 janvier 1961, alcoolique, tuberculeux et persécuté, après avoir, en quelques années au tournant des Roaring Twenties, et quelques livres mythiques (La moisson rouge, Le faucon maltais, La clé de verre, ...), révolutionné le roman policier, faisant de celui-ci disait encore Manchette la grande littérature morale de cette époque - et de son héros désabusé la vertu d'un monde sans vertu.
Après avoir aussi fait tous les métiers, jusqu'à parait-il celui de nervi briseur de grève, puis s'être résolument engagé contre. Communiste longtemps, soutien des Républicains espagnols, partisan des droits civiques, il le paiera au prix de l'époque quand viendra la guerre froide. Mis à l’index, ses livres retirés des bibliothèques, il sera finalement condamné à six mois de prison, le Tribunal outragé qu'il ne livre pas plus de noms que de regrets.

Le premier flic que j'aperçu avait une barbe de huit jours. Le second portait un uniforme minable auquel il manquait deux boutons. Le troisième, planté au milieu du principal carrefour de la ville [...] dirigeait la circulation le cigare au bec. Après celui-là, je cessais de les passer en revue.
Red Harvest (Traduction 1950)

[La classe, définitivement, de cet homme face à ses juges est fort bien documentée sur Article XI.]

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