La langue de mes livres porte, avant tout, la culture de mes personnages, des écrivains-chamanes que je mets en scène et des lecteurs que j’imagine. Elle véhicule leur culture subversive, cosmopolite et marginale, une culture de rêveurs et de combattants politiques qui ont perdu toutes leurs batailles et qui ont encore le courage de parler, alors qu’ils ont aussi perdu la bataille contre le silence. C’est pourquoi ici je ne suis pas ambassadeur de la langue française. Je suis seulement ambassadeur de mes personnages. À quoi ressemble le langage dans lequel ils s’expriment ? À une langue variée et parfois pauvre, parfois mutilée ou, au contraire, luxuriante et baroque. Leur langue n’est pas une langue nationale, mais la langue transnationale des conteurs d’histoires, des exclus, des prisonniers, des fous et des morts. Je suis ici porte parole de leurs voix. Dans mes livres, je traduis en français les fictions qu’ils produisent pour protester contre le réel, pour saboter le réel ou pour transformer le réel.
Voilà pour la langue.
[...]
J’ai parlé d’inconscient collectif. Ce qui est avant tout à l’origine de mon travail, c’est la mémoire collective. Il y a en effet une volonté constante de s’approprier et d’utiliser, dans chaque livre, à chaque page, à chaque moment, des souvenirs communs aux individus qui ont traversé le XXe siècle. Au delà des individus, bien entendu, et quelle que soit leur expérience réelle des événements, il y a l’expérience historique, sur plusieurs générations.
Lénine prophétisait « un siècle de guerres et de révolutions ». C’est bien là que s’abreuve la mémoire de mes personnages. Lénine ne s’est pas trompé dans sa prédiction, mais il a été trop optimiste. Sa description prémonitoire du XXe siècle était incomplète. Aux guerres et aux révolutions se sont superposés les massacres ethniques, la Shoah et les camps, camps de concentration, camps de travail, camps de rééducation, camps de réfugiés, et j’en passe, car les variantes ont été nombreuses.
Le XXe siècle malheureux est la patrie de mes personnages, c’est la source chamanique de mes fictions, c’est le monde noir qui sert de référence culturelle à cette construction romanesque. La langue de mes personnages n’est pas une langue nationale, c’est la langue générale de ceux qui subissent le malheur et qui, pour contrer le malheur, trouvent des solutions révolutionnaires qui pourraient fonctionner mais qui ne fonctionnent pas, des solutions insurrectionnelles qui pendant un moment éphémère concrétisent une espérance, puis dégénèrent, se dégradent, deviennent un malheur d’un type nouveau.
La langue de mes narrateurs et de mes narratrices n’est pas une langue nationale, c’est dans certains cas à peine une langue humaine, c’est la langue de ceux qui malgré leurs efforts, tout au long du XXe siècle, ont connu seulement des défaites. En se référant en permanence aux tragédies archivées dans la mémoire collective, mes personnages épuisés prennent la parole et écrivent des livres. Ils parlent une langue étrangère au monde réel, ils recourent à des formes littéraires étrangères à la littérature du monde contemporain, ils s’expriment en inventant des formes décalées de roman des romånces, des Shaggås, des entrevoûtes, des narrats.
Voilà pour la langue.
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J’ai parlé d’inconscient collectif. Ce qui est avant tout à l’origine de mon travail, c’est la mémoire collective. Il y a en effet une volonté constante de s’approprier et d’utiliser, dans chaque livre, à chaque page, à chaque moment, des souvenirs communs aux individus qui ont traversé le XXe siècle. Au delà des individus, bien entendu, et quelle que soit leur expérience réelle des événements, il y a l’expérience historique, sur plusieurs générations.
Lénine prophétisait « un siècle de guerres et de révolutions ». C’est bien là que s’abreuve la mémoire de mes personnages. Lénine ne s’est pas trompé dans sa prédiction, mais il a été trop optimiste. Sa description prémonitoire du XXe siècle était incomplète. Aux guerres et aux révolutions se sont superposés les massacres ethniques, la Shoah et les camps, camps de concentration, camps de travail, camps de rééducation, camps de réfugiés, et j’en passe, car les variantes ont été nombreuses.
Le XXe siècle malheureux est la patrie de mes personnages, c’est la source chamanique de mes fictions, c’est le monde noir qui sert de référence culturelle à cette construction romanesque. La langue de mes personnages n’est pas une langue nationale, c’est la langue générale de ceux qui subissent le malheur et qui, pour contrer le malheur, trouvent des solutions révolutionnaires qui pourraient fonctionner mais qui ne fonctionnent pas, des solutions insurrectionnelles qui pendant un moment éphémère concrétisent une espérance, puis dégénèrent, se dégradent, deviennent un malheur d’un type nouveau.
La langue de mes narrateurs et de mes narratrices n’est pas une langue nationale, c’est dans certains cas à peine une langue humaine, c’est la langue de ceux qui malgré leurs efforts, tout au long du XXe siècle, ont connu seulement des défaites. En se référant en permanence aux tragédies archivées dans la mémoire collective, mes personnages épuisés prennent la parole et écrivent des livres. Ils parlent une langue étrangère au monde réel, ils recourent à des formes littéraires étrangères à la littérature du monde contemporain, ils s’expriment en inventant des formes décalées de roman des romånces, des Shaggås, des entrevoûtes, des narrats.
Antoine Volodine : Écrire en français une littérature étrangère
Chaoïd, n°6, automne-hiver 2002
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