mercredi 13 octobre 2010

Des journées entières dans les livres #14

Il ne me convient point, barons de Catalogne,
lorsque je porterai mon âme à Lucifer,
qu'on traite ma dépouille ainsi que la charogne
d'un employé de banque ou de chemins de fer;

Que mon enterrement soit superbe et farouche,
que les bourgeois glaireux bâillent d'étonnement
et que Sadi Carnot, ouvrant sa large bouche,
se dise : "Nom de Dieu! Le bel enterrement!"

Le linceul sera simple et cossu : dans la bile
d'un pédéraste occis par Capeluche vers
l'an treize cent soixante, un ouvrier habile
a tanné douze peaux de calprimulges verts:

Pour ôter au cadavre un aspect trop morose
premier que me vêtir du suaire teignez,
mes sourcils en bleu ciel et mes cheveux en rose
de flamant et dorez mes ongles bien rognés.

Ce coffre d'orichalque ocellé de sardoines
et doublé de samit qu'autrefois Gengis-Khan
offrit à mon aieul semble des plus idoines
à recevoir mon corps aimé de Dinican!

Etendez-moi rigide au fond de cette bière,
placez entre mes mains nos livres décadents:
Laforgue, Maldoror, Rimbaud, Tristan Corbière
mais pas de René Ghil: ca me fout mal aux dents.



[Toute l'Épître falote et testamentaire pour régler l'ordre et la marche de mes funérailles : clic-clic.]

1 commentaire:

  1. Ah ça, M. Jo, quelle excellente chose vous nous révélez là ! J'ignorais presque tout de Georges Fourest, sans doute incommodé par son homonymie avec Catherine, que je supporte difficilement. Et, au vrai, que je ne supporte pas.
    Mais des Fourest comme Georges, j'en veux encore, et chaque jour ! Tout y est de ce qui fait la vie supportable et donne de l'espoir : l'esprit canaille, un peu de préciosité maîtrisée, comme un doigt d'honneur aux incultes, de l'arrogance, un charmant désespoir… Merci, M. Jo ! Si jamais je trouvais chez quelque antiquaire, inquiétant sans doute, et privé d'ombre, un «coffre d'orichalque ocellé de sardoines
    et doublé de samit», il serait pour vous !

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