lundi 9 août 2010

N’en sortir plus jamais

Et voici que je prononce une phrase de Marx que j’avais lue dans la pile des livres qui sont chez Joséphine — une phrase que j’avais lue et soulignée : « Nous serons les premiers à entrer vivants dans la vie nouvelle. » C’est une phrase qu’il a écrite à Engels ou Ruge, je ne sais plus — une de ces phrases qu’on se répète comme un slogan, une phrase à frissons de soulèvement, fière et solennelle, qui claque dans l’air glacé de Berlin, et vous exalte à bon compte, parce que la « vie nouvelle » parle à tout le monde sans qu’on sache exactement quoi mettre sous cette expression : « Nous serons les premiers à entrer vivants dans la vie nouvelle. » Mais moi, la « vie nouvelle », aujourd’hui, en face du McDonald’s et des trois SDF, avec la voix de Marx qui m’avait réveillé, je voyais très bien ce que c’était. La « vie nouvelle », je l’avais toujours connue. À Paris, chaque jour, avec Anna Livia, la « vie nouvelle », je la vivais. La « vie nouvelle », lorsqu’on y est entré une fois, on n’en sort plus jamais. Même si l’on traverse une mauvaise passe, personne ne peut vous en dépouiller. Car ce qui s’ouvre avec la « vie nouvelle » ressemble au savoir que vous offre l’illumination. Personne ne peut vous séparer d’une illumination. Si vous êtes illuminé, l’enfer ne peut rien contre vous — vous le traversez.
Yannick Haenel, Cercle, Folio.

2 commentaires:

  1. Primo Levi n'était donc pas un illuminé. Ni illuminé. Hélas pour lui.

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  2. Vous avez raison, bien entendu.
    Ce qui est compliqué, avec nous autres amateurs de lyrisme boursouflé, c'est que l'on sait bien, au fond de soi, en y réfléchissant rien qu'un tout petit peu, que c'est ridicule - n'empêche, on ne peut pas s'empêcher d'y repiquer, un peu honteusement, en espérant que ça ne se voie pas trop (là, c'est raté).

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