Nous n’avons jamais vraiment
écouté ces vieillards de 20 ans dont le témoignage nous aiderait à
remonter les chemins de l’horreur : l’intolérable
brûlure aux yeux, au nez, à la gorge, de suffocantes
douleurs dans la poitrine, une toux violente qui déchire la plèvre et
les bronches, amène une bave de sang aux lèvres, le corps
plié en deux secoué d’âcres vomissements, écroulés,
recroquevillés que la mort ramassera bientôt, piétinés par les plus
vaillants qui tentent, mains au rebord de la tranchée, de se
hisser au-dehors, de s’extraire de ce grouillement de
vers humains, mais les pieds s’emmêlent dans les fils téléphoniques
agrafés le long de la paroi, et l’éboulement qui s’ensuit
provoque la réapparition, par morceaux, des cadavres de
l’automne sommairement enterrés dans le parapet, et à peine en surface,
c’est la pénible course à travers la brume verte et
l’infect marigot, une jambe soudain aspirée dans une
chape de glaise molle, et l’effort pour l’en retirer sollicite
violemment les poumons, les chutes dans les flaques nauséabondes,
pieds et mains gainés d’une boue glacière, le corps
toujours secoué de râles brûlants, et, quand enfin la nappe est
dépassée - Ô fraîche transparence de l’air -, les vieilles recettes de
la guerre, par un bombardement intensif, fauchent les
rescapés.
[Le 11 novembre clic-clic : les morts déjà, Martin Scorsese et Miossec - la lueur des sémaphores.]