Cette scène, au début du film de Dino Risi, Le Fanfaron : en plein 15 août, dans une Rome déserte, Vittorio Gassman débarque chez Jean-Louis Trintignant, jeune étudiant timide. Prétextant un coup de téléphone, Gassman en profite pour inspecter le frigidaire de Trintignant. Il n'y trouve rien d'autre qu'un œuf et un citron, et il propose au jeune homme de l'embarquer en virée pour aller manger un bon minestrone à Civitavecchia. Trintignant résiste, il a du travail, ses livres le réclament et, surtout, il n'aime pas les décisions prises ainsi, sur un coup de tête ; mais Gassman insiste et finit par le convaincre, arguant qu'il n'ira pas loin le ventre vide, et puis, il a bien le droit de prendre un peu de bon temps, non ? De fait, tout le film repose sur cet équilibre précaire entre la raison et la tentation. S'accrocher ou lâcher prise. Dans le film, Trintignant finira par tout lâcher, y compris sa propre vie. Car, derrière la proposition de Gassman, se déploie tout un monde de tentations et de folies. L’œuf et le citron apparaissent alors comme les derniers remparts de la sagesse, ou de l'ennui.
Je repense souvent à eux, l’œuf et le citron, égarés dans la blancheur du frigidaire.
[Le 11 décembre clic-clic la Sainte-Dani, la Saint-Daniel, Hirschman et Jean-Louis Trintignant, 84.]